
Face à la menace grandissante du changement climatique, le droit international a progressivement développé un cadre juridique complexe visant à orchestrer une réponse globale. Cette branche juridique relativement jeune se situe à l’intersection du droit de l’environnement, du droit économique et des droits humains. Elle repose sur un équilibre délicat entre souveraineté des États et nécessité d’action collective. Depuis les premières négociations climatiques jusqu’aux accords contemporains, l’architecture juridique internationale n’a cessé d’évoluer pour tenter de répondre à un défi sans précédent. Pourtant, malgré des avancées significatives, l’écart reste considérable entre les engagements pris et les mesures concrètes nécessaires pour limiter le réchauffement global.
Fondements et évolution historique du régime climatique international
Le régime juridique international relatif au climat trouve ses racines dans les années 1980, lorsque la communauté scientifique a commencé à alerter sur les risques liés aux émissions de gaz à effet de serre. C’est en 1988 que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été créé conjointement par l’Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations Unies pour l’environnement. Ce groupe a joué un rôle capital dans l’établissement d’un consensus scientifique sur la réalité du changement climatique et son origine anthropique.
Le premier jalon majeur du droit climatique international a été posé lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992, avec l’adoption de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Ce traité, ratifié par 197 parties, constitue l’ossature du régime climatique global. Il établit comme objectif ultime la « stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ».
La CCNUCC a introduit plusieurs principes fondamentaux qui continuent de structurer le droit climatique :
- Le principe des « responsabilités communes mais différenciées »
- Le principe de précaution
- Le principe du développement durable
- Le droit au développement économique
En 1997, le Protocole de Kyoto a marqué une évolution significative en fixant des objectifs chiffrés de réduction d’émissions juridiquement contraignants pour les pays développés. Pour la première période d’engagement (2008-2012), ces pays devaient réduire collectivement leurs émissions d’au moins 5% par rapport aux niveaux de 1990. Le Protocole a innové en introduisant des mécanismes de flexibilité comme le marché carbone international, le Mécanisme de Développement Propre (MDP) et la Mise en Œuvre Conjointe (MOC).
Après l’échec de la Conférence de Copenhague en 2009, qui n’a pas abouti à un accord global pour succéder à Kyoto, la diplomatie climatique a connu un renouveau progressif. Les Accords de Cancún (2010) ont formalisé les engagements volontaires pris à Copenhague, tandis que la plate-forme de Durban (2011) a lancé un processus de négociation visant à adopter un nouvel accord applicable à toutes les parties.
Ce parcours a culminé avec l’adoption de l’Accord de Paris en 2015, représentant un changement de paradigme dans la gouvernance climatique internationale. Cet accord hybride combine des éléments juridiquement contraignants avec une approche ascendante basée sur des contributions déterminées au niveau national (CDN). L’Accord fixe l’objectif de maintenir le réchauffement « bien en-dessous de 2°C » par rapport aux niveaux préindustriels, tout en poursuivant les efforts pour le limiter à 1,5°C.
Architecture juridique de l’Accord de Paris et mécanismes d’application
L’Accord de Paris constitue aujourd’hui la pierre angulaire du droit international du climat. Sa structure juridique innovante représente un équilibre subtil entre obligations contraignantes et flexibilité. Le traité se distingue par son approche hybride, combinant un cadre juridique commun avec des engagements nationaux différenciés selon les capacités et circonstances de chaque pays.
Au cœur de l’Accord se trouvent les Contributions Déterminées au niveau National (CDN). Chaque partie doit préparer, communiquer et maintenir des CDN successives, représentant ses efforts pour réduire les émissions nationales. Si la soumission des CDN est une obligation juridique, leur contenu reste à la discrétion des États. Cette approche dite « ascendante » contraste avec celle « descendante » du Protocole de Kyoto, où les objectifs étaient imposés aux pays développés.
Le mécanisme de transparence renforcée
Pour assurer l’efficacité de ce système, l’Accord a établi un cadre de transparence renforcée. Ce mécanisme oblige les parties à fournir régulièrement :
- Des inventaires nationaux de gaz à effet de serre
- Des informations nécessaires au suivi des progrès dans la mise en œuvre de leurs CDN
- Des informations sur le soutien fourni ou reçu (financement, transfert de technologies, renforcement des capacités)
Ces rapports font l’objet d’un examen technique par des experts et d’un examen multilatéral facilité des progrès accomplis. Ce système de transparence constitue la colonne vertébrale de l’Accord, permettant d’évaluer collectivement les efforts mondiaux.
Le mécanisme d’ambition progressive
L’Accord de Paris intègre un mécanisme d’ambition progressive, parfois appelé « mécanisme de cliquet ». Tous les cinq ans, les parties doivent soumettre de nouvelles CDN qui représentent une progression par rapport aux précédentes. Ce cycle quinquennal est synchronisé avec un bilan mondial qui évalue les progrès collectifs vers les objectifs de l’Accord. Le premier bilan mondial est prévu pour 2023.
L’article 6 de l’Accord prévoit trois mécanismes de coopération permettant aux pays de collaborer dans leurs efforts d’atténuation :
Les démarches concertées (article 6.2) permettent aux pays de transférer des « résultats d’atténuation » entre eux. Ce mécanisme facilite les marchés carbone bilatéraux ou multilatéraux, à condition d’éviter le double comptage des réductions d’émissions.
Le mécanisme d’atténuation (article 6.4) établit un système centralisé sous l’égide de l’ONU, successeur du Mécanisme de Développement Propre. Il permet de générer des crédits carbone à partir de projets de réduction d’émissions, qui peuvent être utilisés par les pays pour atteindre leurs CDN.
Le cadre pour les approches non marchandes (article 6.8) reconnaît l’importance des approches qui ne reposent pas sur les marchés carbone, comme le transfert de technologies ou le renforcement des capacités.
Les règles détaillées pour la mise en œuvre de ces mécanismes ont été finalisées lors de la COP26 à Glasgow en 2021, complétant ainsi le « rulebook » de l’Accord de Paris. Ces règles visent notamment à garantir l’intégrité environnementale des échanges de crédits carbone et à éviter le double comptage des réductions d’émissions.
Responsabilités différenciées et justice climatique dans le droit international
Le concept de responsabilités communes mais différenciées constitue un pilier fondamental du droit international du climat. Ce principe, consacré dès la CCNUCC en 1992, reconnaît que tous les États ont la responsabilité de protéger le système climatique, mais que cette responsabilité doit être modulée selon leurs capacités respectives et leur contribution historique au problème.
Cette différenciation s’est initialement traduite par une distinction binaire entre pays développés (listés dans l’Annexe I de la CCNUCC) et pays en développement (non-Annexe I). Le Protocole de Kyoto a poussé cette logique plus loin en n’imposant des obligations quantifiées de réduction d’émissions qu’aux pays de l’Annexe I. Cette approche rigide a été l’une des raisons de la non-ratification du Protocole par les États-Unis et du retrait ultérieur du Canada.
L’Accord de Paris a fait évoluer cette conception vers une différenciation plus nuancée et dynamique. Il abandonne la division binaire au profit d’un système où tous les pays prennent des engagements, mais avec une flexibilité qui tient compte de leurs circonstances nationales. Cette évolution reflète les changements économiques majeurs survenus depuis 1992, notamment l’émergence de puissances comme la Chine et l’Inde.
La question de la responsabilité historique
La notion de responsabilité historique demeure un sujet de tensions dans les négociations climatiques. Les pays en développement soulignent que les nations industrialisées ont utilisé une part disproportionnée du « budget carbone » mondial depuis la révolution industrielle. Selon cette perspective, les pays développés devraient assumer une plus grande part du fardeau de l’atténuation et fournir un soutien financier et technologique aux pays en développement.
Cette question se manifeste juridiquement à travers plusieurs mécanismes :
- L’obligation pour les pays développés de prendre l’initiative dans la lutte contre le changement climatique
- L’engagement de mobiliser des financements climatiques pour les pays en développement
- Les dispositions sur le transfert de technologies et le renforcement des capacités
L’Accord de Paris a institutionnalisé l’engagement des pays développés de mobiliser conjointement 100 milliards de dollars par an jusqu’en 2025 pour soutenir les actions climatiques dans les pays en développement. Ce montant est considéré comme un plancher, avec l’objectif de le revoir à la hausse après 2025.
Pertes et préjudices : une reconnaissance juridique récente
Le concept de pertes et préjudices (loss and damage) fait référence aux impacts négatifs du changement climatique auxquels les pays ne peuvent pas s’adapter. Cette question est particulièrement critique pour les petits États insulaires et les pays les moins avancés, qui contribuent minimalement aux émissions mondiales mais subissent des conséquences disproportionnées.
Après des années de plaidoyer, l’Accord de Paris a reconnu l’importance de cette question dans son article 8. Toutefois, la décision accompagnant l’Accord précise explicitement que cette disposition « ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation » – une clause insérée à la demande des pays développés craignant des poursuites judiciaires.
Une avancée majeure a été réalisée lors de la COP27 à Charm el-Cheikh en 2022, avec la décision d’établir un fonds pour les pertes et préjudices destiné à aider les pays vulnérables à faire face aux impacts irréversibles du changement climatique. Cette décision représente une étape significative vers la reconnaissance d’une forme de justice climatique dans le régime juridique international.
La justice climatique s’étend au-delà des relations interétatiques pour englober des considérations d’équité intergénérationnelle et de droits humains. Les tribunaux nationaux et internationaux sont de plus en plus saisis d’affaires qui établissent des liens entre changement climatique et violations des droits fondamentaux, comme l’illustrent l’affaire Urgenda aux Pays-Bas ou la pétition des Inuits devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme.
Interface entre droit climatique et autres régimes juridiques internationaux
Le droit international du changement climatique ne fonctionne pas en vase clos. Il interagit constamment avec d’autres branches du droit international, créant un réseau complexe d’obligations parfois complémentaires, parfois contradictoires. Cette fragmentation du droit international pose des défis significatifs pour la cohérence et l’efficacité de la gouvernance climatique mondiale.
Droit climatique et droit commercial international
L’interface entre le régime climatique et les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) représente l’une des interactions les plus complexes. Les mesures nationales de lutte contre le changement climatique, comme les taxes carbone aux frontières ou les subventions aux énergies renouvelables, peuvent entrer en conflit avec les principes de non-discrimination et de libéralisation des échanges promus par l’OMC.
Des tensions sont apparues dans plusieurs affaires emblématiques :
- L’affaire Canada – Programme de tarifs de rachat garantis, où des subventions aux énergies renouvelables comportant des exigences de contenu local ont été jugées incompatibles avec les règles de l’OMC
- L’affaire États-Unis – Crevettes, qui a établi que les mesures environnementales affectant le commerce peuvent être justifiées sous certaines conditions
Le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières proposé par l’Union européenne illustre les défis contemporains à cette interface. Cette mesure vise à appliquer un prix du carbone aux importations provenant de pays n’ayant pas de politiques climatiques comparables, soulevant des questions sur sa compatibilité avec les règles de l’OMC et le principe des responsabilités communes mais différenciées.
Droit climatique et droit des investissements
Les politiques climatiques peuvent affecter les intérêts des investisseurs étrangers, donnant lieu à des litiges dans le cadre du droit international des investissements. Plusieurs cas d’arbitrage ont émergé lorsque des États ont modifié leurs régimes de soutien aux énergies renouvelables, comme dans l’affaire Vattenfall c. Allemagne suite à la sortie du nucléaire allemande, ou dans les nombreux arbitrages contre l’Espagne après la réduction des subventions au solaire.
À l’inverse, le droit des investissements peut constituer un levier pour la transition énergétique. Les nouveaux accords d’investissement intègrent de plus en plus des dispositions préservant la marge de manœuvre réglementaire des États en matière environnementale et climatique. Des initiatives comme l’Alliance des propriétaires d’actifs Net-Zéro illustrent comment les investisseurs institutionnels peuvent contribuer aux objectifs climatiques.
Droit climatique et droit de la mer
L’élévation du niveau des mers, conséquence directe du réchauffement climatique, soulève des questions juridiques inédites en droit de la mer. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer n’a pas anticipé la possible disparition de territoires insulaires sous les eaux.
Des questions juridiques fondamentales émergent :
- Le statut des zones économiques exclusives lorsque les lignes de base reculent
- Le maintien de la personnalité juridique internationale d’un État dont le territoire disparaît
- Les droits des populations déplacées par la montée des eaux
Des États insulaires comme Tuvalu, Kiribati ou les Maldives explorent des stratégies juridiques innovantes pour préserver leurs droits maritimes face à cette menace existentielle, y compris la fixation permanente de leurs lignes de base actuelles indépendamment des changements géographiques futurs.
Droit climatique et régime de protection de la biodiversité
Le changement climatique et l’érosion de la biodiversité constituent deux crises environnementales interconnectées. Les régimes juridiques respectifs – l’Accord de Paris d’un côté, la Convention sur la diversité biologique et ses protocoles de l’autre – ont longtemps évolué en parallèle.
Des synergies se développent toutefois, notamment autour des solutions fondées sur la nature comme la protection des forêts. Le mécanisme REDD+ (Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation forestière) illustre cette convergence, en valorisant le carbone stocké dans les écosystèmes forestiers tout en générant des co-bénéfices pour la biodiversité.
Le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, adopté en 2022, reconnaît explicitement les liens entre climat et biodiversité, appelant à des approches intégrées qui maximisent les co-bénéfices entre ces domaines. Cette évolution marque une prise de conscience croissante de la nécessité d’une gouvernance environnementale plus cohérente face aux défis planétaires interconnectés.
Défis et perspectives d’avenir du droit climatique global
Le droit international du changement climatique se trouve à un moment charnière. Malgré des avancées significatives dans l’élaboration d’un cadre juridique global, l’écart reste considérable entre les engagements actuels et les réductions d’émissions nécessaires pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Cette situation soulève des questions fondamentales sur l’efficacité du régime juridique actuel et les voies possibles pour le renforcer.
Le défi de la mise en œuvre et du respect des engagements
L’application effective des obligations climatiques constitue l’un des défis majeurs du régime actuel. L’Accord de Paris a établi un comité d’experts chargé de faciliter la mise en œuvre et de promouvoir le respect des dispositions (article 15). Contrairement aux mécanismes traditionnels de conformité, ce comité fonctionne de manière « non accusatoire et non punitive », privilégiant une approche facilitatrice plutôt que sanctionnatrice.
Cette approche souple reflète les réalités politiques des négociations climatiques, mais soulève des questions sur sa capacité à garantir le respect des engagements. Face à cette limitation, on observe une diversification des voies pour assurer l’application du droit climatique :
- Le recours croissant aux tribunaux nationaux pour contraindre les gouvernements à respecter leurs obligations climatiques
- L’émergence du contentieux climatique transnational visant les grandes entreprises émettrices
- Le développement de mécanismes non étatiques de suivi et de vérification des engagements
Le rapport entre droit contraignant (hard law) et instruments non contraignants (soft law) évolue dans ce domaine. Si l’Accord de Paris constitue un traité juridiquement contraignant, nombre de ses dispositions sont formulées en termes souples, laissant une marge d’interprétation considérable. Cette approche hybride permet d’accommoder la diversité des situations nationales, mais peut affaiblir la force normative du régime.
L’émergence d’une gouvernance climatique polycentrique
Face aux limites du multilatéralisme traditionnel, le paysage de la gouvernance climatique se transforme pour inclure une multiplicité d’acteurs et de niveaux d’action. Cette gouvernance polycentrique se manifeste par :
L’implication croissante des acteurs non étatiques dans l’action climatique. L’Accord de Paris reconnaît formellement le rôle des entreprises, des villes, des régions et de la société civile. Le Partenariat de Marrakech pour l’action climatique mondiale et le portail NAZCA (Zone des acteurs non étatiques pour l’action climatique) institutionnalisent cette participation.
Le développement de coalitions d’ambition regroupant des États partageant des objectifs climatiques ambitieux, comme l’Alliance pour l’ambition climatique ou la Coalition pour la haute ambition.
L’émergence de régimes transnationaux établissant des normes et standards qui influencent les comportements des acteurs publics et privés, comme l’Initiative pour la transparence financière liée au climat (TCFD) ou la Science Based Targets initiative (SBTi).
Cette évolution vers une architecture plus complexe et décentralisée présente des opportunités pour accélérer l’action climatique, mais soulève des questions de coordination, de cohérence et de légitimité démocratique.
Vers un renforcement du droit climatique
Plusieurs pistes sont explorées pour renforcer l’efficacité du régime juridique climatique :
L’intégration plus explicite des droits humains dans le droit climatique. Le préambule de l’Accord de Paris mentionne que les parties devraient respecter et promouvoir leurs obligations respectives concernant les droits humains, mais cette référence reste limitée. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a reconnu en 2021 que l’accès à un environnement propre, sain et durable constitue un droit humain, ouvrant la voie à un renforcement des liens entre ces domaines.
Le développement du concept de crime d’écocide en droit pénal international. Des propositions visent à amender le Statut de Rome de la Cour pénale internationale pour y inclure ce crime, défini comme des actes causant des dommages graves, étendus et durables à l’environnement. Cette évolution pourrait créer un puissant mécanisme de dissuasion contre les activités les plus néfastes pour le climat.
L’exploration de nouvelles approches juridiques comme le principe des responsabilités communes mais différenciées et évolutives, qui reconnaîtrait le caractère dynamique des capacités et des responsabilités des États, ou le principe de non-régression, qui interdirait tout recul dans le niveau de protection environnementale déjà atteint.
Le renforcement de l’architecture institutionnelle du régime climatique, potentiellement à travers la création d’une Organisation mondiale de l’environnement dotée de pouvoirs plus étendus que l’actuel Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).
Ces évolutions s’inscrivent dans un contexte de transition systémique qui dépasse le seul cadre juridique. La transformation requise pour atteindre la neutralité carbone implique des changements profonds dans les systèmes énergétiques, industriels, agricoles et financiers mondiaux. Le droit climatique international devra évoluer pour catalyser et encadrer cette transition sans précédent, tout en garantissant qu’elle se déroule de manière juste et équitable.
Vers une justice climatique intergénérationnelle : nouveaux horizons juridiques
Le droit international du changement climatique se trouve confronté à un défi fondamental : protéger les intérêts des générations futures qui subiront les conséquences les plus graves du réchauffement planétaire sans avoir contribué à sa cause. Cette dimension temporelle unique soulève des questions juridiques profondes sur la responsabilité intergénérationnelle et la capacité du droit à transcender les horizons temporels traditionnels.
Le concept de justice intergénérationnelle trouve un ancrage dans plusieurs instruments juridiques climatiques. Le préambule de la CCNUCC mentionne la nécessité de protéger le système climatique « pour les générations présentes et futures ». L’Accord de Paris réaffirme cette préoccupation en soulignant l’importance de l’équité intergénérationnelle. Toutefois, ces références restent générales et ne créent pas d’obligations spécifiques envers les générations à venir.
Face à cette lacune, on observe l’émergence d’innovations juridiques visant à donner une voix aux générations futures dans les processus décisionnels actuels :
- La création d’institutions représentant les intérêts des générations futures, comme le Commissaire aux générations futures en Hongrie ou le Comité pour l’avenir du Parlement finlandais
- L’intégration de principes comme la durabilité forte ou le principe de précaution dans les cadres juridiques nationaux et internationaux
- Le développement de nouveaux outils d’évaluation comme l’analyse d’impact intergénérationnelle des politiques publiques
Le contentieux climatique intergénérationnel
L’une des évolutions les plus marquantes de ces dernières années est l’émergence d’un contentieux climatique portant explicitement sur les droits des générations futures. Plusieurs affaires emblématiques illustrent cette tendance :
L’affaire Juliana v. United States, dans laquelle 21 jeunes Américains ont poursuivi leur gouvernement pour violation de leurs droits constitutionnels à la vie, la liberté et la propriété en raison de son inaction face au changement climatique.
La plainte déposée par Greta Thunberg et 15 autres jeunes auprès du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies contre cinq pays pour leur inaction climatique.
L’affaire Sharma v. Minister for the Environment en Australie, où la Cour fédérale a reconnu l’existence d’un devoir de diligence du ministre de l’Environnement envers les jeunes générations concernant les risques climatiques.
Ces actions en justice reposent souvent sur des arguments innovants, comme l’extension temporelle des droits humains ou la reconnaissance d’une obligation fiduciaire des États envers les générations futures concernant les ressources naturelles et le climat.
Vers un statut juridique pour les générations futures
Des propositions plus radicales émergent pour reconnaître un véritable statut juridique aux générations futures. Certains juristes suggèrent de leur attribuer une forme de personnalité juridique, comme cela a été fait pour certains éléments naturels (rivières, écosystèmes) dans plusieurs juridictions.
D’autres proposent la création d’un Gardien des générations futures au niveau international, institution indépendante qui pourrait intervenir dans les négociations climatiques et engager des actions en justice au nom des générations à venir.
La Déclaration sur les responsabilités des générations présentes envers les générations futures adoptée par l’UNESCO en 1997 offre un cadre conceptuel pour ces développements, bien que non contraignante.
Ces évolutions soulèvent des questions juridiques complexes :
- Comment définir avec précision les droits de personnes qui n’existent pas encore?
- Comment équilibrer les intérêts des générations présentes et futures?
- Qui peut légitimement représenter les générations futures?
Malgré ces défis conceptuels, l’idée d’une responsabilité juridique envers les générations futures gagne du terrain, reflétant une prise de conscience croissante de la dimension éthique et temporelle unique du défi climatique.
Une approche systémique du droit climatique
Au-delà de la question intergénérationnelle, le droit climatique évolue vers une approche plus systémique qui reconnaît les interconnexions entre climat, biodiversité, océans et systèmes socio-économiques.
Les limites planétaires, concept scientifique identifiant neuf processus biophysiques essentiels au maintien de la stabilité du système Terre, commencent à influencer le développement juridique. Des initiatives comme le Pacte mondial pour l’environnement visent à établir un cadre juridique cohérent pour la protection de l’environnement global, intégrant le climat comme une composante d’un système plus large.
Cette approche systémique se manifeste dans des concepts juridiques émergents comme les droits de la nature, reconnus dans les constitutions de l’Équateur et de la Bolivie, ou dans des décisions judiciaires en Colombie, en Inde et en Nouvelle-Zélande.
Le droit climatique du futur pourrait ainsi s’orienter vers un droit de la Terre plus holistique, reconnaissant l’interdépendance fondamentale entre humanité et systèmes naturels, et intégrant des perspectives temporelles beaucoup plus longues que celles traditionnellement considérées par le droit.
Cette évolution représente peut-être la transformation la plus profonde du droit international face au défi climatique : non pas simplement adapter les cadres juridiques existants, mais repenser fondamentalement la relation entre droit, temps et systèmes naturels pour créer un cadre capable de protéger le climat pour les générations présentes et futures.